La communauté juive d’origine algérienne, mais aussi les Juifs français dans leur ensemble, ont appris avec douleur et stupéfaction que le gouvernement français a décidé, selon la parution au J. O. du 26 mai 2016, de « regrouper » divers cimetières juifs d’Algérie, et de déverser leur saint contenu dans des cimetières juifs de grandes villes de la région.
Cette nouvelle a très fortement ébranlé la communauté juive du monde entier, qui veut s’élever avec force contre cette décision.
Rappelons d’abord l’ancienneté de la communauté algérienne, bien que ceux qui ont lu les numéros de Kountrass consacrés à cette importante communauté s’en souviennent probablement.
Rappel historique
Les Juifs se sont installés en Algérie à la destruction du second Temple de Jérusalem, tout comme en Tunisie et au Maroc. Toutefois, on sait que des Juifs y ont habité bien plus tôt, utilisant les navires phéniciens pour faire passer leur marchandise au Moyen-Orient. Les Juifs de Constantine ont en particulier une tradition, selon laquelle ils fournissaient du matériel au roi Chelomo. Des témoignages archéologiques prouvent encore l’existence d’une communauté juive dès l’ère romaine, avec, en particulier, des tombes juives datant du IIe siècle de l’ère actuelle, trouvées à Constantine et à Sétif. Dans cette dernière ville, on a découvert les restes d’une synagogue du IVe siècle.
Lors de l’invasion musulmane en Afrique du Nord, au VIIe siècle, l’histoire veut qu’une reine berbère, la Kahéna, se soit opposée par la force aux troupes musulmanes – on lui attribue des origines juives, bien que la réalité de cette affiliation ne soit pas totalement attestée.
On en sait peu sur la vie des Juifs avant le XIIe siècle quand la ville de Tlemcen est connue comme un grand centre d’études juives. A Kalâa des Béni Hammad naît le rav Yits’hak Alfassi – le Rif –, l’un des Sages les plus marquants du Moyen-âge, un pilier de la loi juive (il a vécu par la suite à Fez, et est décédé en Espagne), ainsi que d’autres Sages de renom, dont rabbénou Efraïm.
En 1492, de nombreux Juifs exilés d’Espagne s’installent en Algérie. On compte parmi eux plusieurs grands Maîtres : rabbi Chim’on ben Tséma’h (le Rachbetz), rabbi Yits’hak ben Tséma’h (le Rivach) et rabbi Chim’on Duran (le Rachbech).
Ainsi donc, la communauté juive d’Algérie a-t-elle ses lettres de noblesse ; ses cimetières peuvent témoigner de sa belle histoire, et peuvent en témoigner.
Le projet français
L’Algérie a été française entre 1848 et 1961. Après son indépendance, elle a signé un accord avec la France, selon lequel les cimetières des ressortissants européens, dont les Juifs, resteraient sous la garde hexagonale. Et, en effet, selon les publications officielles, des grands fonds ont été investis pour assurer cette sauvegarde, à nettoyer les cimetières et à ériger des murs, etc.
La difficulté de cette œuvre a fait que la France a décidé à présent de « regrouper » divers cimetières anciens – essentiellement ceux où reposent les membres de notre communauté ; beaucoup moins ceux des Chrétiens… –, en général des lieux de repos de « taille moindre ».
Qu’est-ce qui se cache derrière le terme singulier de « regrouper » ? Il s’agit de reprendre les concessions existantes et de transférer les restes dans un autre cimetière, dans un ossuaire ou dans une tombe commune.
Or, ceci va totalement à l’encontre de notre tradition : pour nous, un mort a droit à sa tombe pour l’éternité, sans que quiconque ne puisse l’en ressortir.
Dans les cas exceptionnels où cela est envisageable (comme pour sauver une tombe d’une inondation définitive, ou pour ré-inhumer le corps en Terre sainte), cette opération ne peut être effectuée que par des spécialistes juifs, de leurs propres mains. On prend de longues heures pour s’assurer que tous les restes funéraires en soient bien sortis.
La décision de la France concerne les « petits cimetières ». Dans la liste fournie, on trouvera des cas de cimetières comprenant… quatre tombes. Ceci est plus que surprenant : en quel honneur a-t-on pu, dans le temps, ériger un cimetière pour aussi peu de personnes ? La réponse ne fait aucun doute : ces cimetières sont antiques. Ils étaient de loin plus remplis auparavant, mais le temps a eu le dessus sur les pierres tombales. Nul doute que dans le terrain du cimetière, on peut trouver de nombreux corps supplémentaires.
Que va-t-il se passer ? Une fois les quelques tombes arrachées, le terrain sera cédé à une entreprise ou un organisme, municipal ou privé, et en le préparant à la construction, les ouvriers découvriront des corps. Que vont-ils faire, alors ? Prévenir le consulat, les autorités, le Consistoire ? Que nenni ! Ils continueront leur travail, que D’ nous en protège !
Peut-on sauver les restes funéraires à titre personnel ?
Le public a été informé de la possibilité d’obtenir les restes funéraires de proches, et de les faire enterrer ailleurs. Il suffit d’en faire la demande face aux consulats français en Algérie. Cela semble constituer une bonne nouvelle. Toutefois, la France restant la France, seuls des ayant-droits directs ont la possibilité d’obtenir une telle grâce et ce, uniquement s’ils sont en mesure de présenter un certificat original de décès de la personne (décédée voici plus de 60 ans, ne l’oublions pas…) et un livret de famille prouvant leur filiation directe. Les autres n’ont strictement aucun droit d’intervenir.
Autrement dit, si une seule personne parvient à sauver les restes funéraires de ses ancêtres par cette voie, cela sera beaucoup.
Ne négligeons pas, par ailleurs, le fait que les frais d’une telle opération seront à supporter par la famille, et non point par la communauté ou l’Etat.
Inutile pour nous de déconseiller, dans un cas si hypothétique, de ré-inhumer ces restes funéraires en France : quelque temps plus tard, la législation du pays des Droits de l’homme permettra d’exhumer à nouveau ces restes…
Que faire ?
Dans tous les autres pays du monde, les autorités savent respecter les morts, juifs ou non. Et quand un projet de destruction d’un cimetière est connu, la gola juive tout entière se mobilise pour entraver de telles velléités.
C’est ce qui se passe actuellement : la communauté juive est en train de s’élever contre ce projet d’abandon de nos tombes, vieilles de près de deux millénaires, et exige l’interruption immédiate de cette procédure, inacceptable pour elle.
Sur quoi cette exigence se base-t-elle ?
Sur une donnée mondialement acceptée : le droit de reposer en paix est un droit fondamental pour tout être humain (décision des Nations Unies).
Les cimetières juifs font partie du patrimoine cultuel de l’Europe (Conseil de l’Europe, directive européenne / résolution 1883).
Le respect dû au corps humain ne cesse pas après la mort (Code Civil, France, art. 16-1-1 – Loi n° 2008-1351).
Sans parler de la Halakha, plus que claire à ce sujet : un mort est propriétaire à tout jamais de sa tombe !
On pourra ajouter ici un élément de logique pure – valable du reste également pour la France métropolitaine : ces gens ont acheté un lopin de terre pour y trouver le repos éternel. Comment les autorités civiles peuvent-elles justifier leur conduite vis-à-vis d’eux ? Comment peuvent-elles se rétracter et de jeter leurs restes funéraires à la fosse commune, le jour où cela leur plaît ? Voici, à notre sens, un très grand opprobre de la part de la France, conduite qui n’est partagée par aucun pays au monde (la Belgique exceptée, mais elle ne fait que suivre l’exemple…) !
Espérons que l’effort international qui est en train de se constituer portera fruit.
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