Incroyable mais vrai : les quatre morts de l’Hyper Cacher ont été enterrés en Terre sainte en son temps, voici plus d’un an, démarche suivie avec inquiétude par certains media français – « Mais pourquoi les envoyer se faire enterrer en Israël ? » avait demandé le Figaro – et un lecteur avait répondu avec intelligence : « Mais que faites-vous pour assurer leur repos « éternel » en terre de France ? »
Il s’est avéré par la suite, à la grande stupéfaction des familles, que ce n’était pas tout à fait exact : les corps n’ont pas été rendus entièrement. Non point des suites du meurtre, mais parce que les médecins légistes en avaient tout simplement prélevé quelques membres… Une partie des corps était restée en France. Cela n’a été su que par la suite, quand les familles ont fait la demande de recevoir les habits tâchés de sang, qu’il fallait également mettre en terre. On leur a dit alors qu’il y avait également des morceaux des corps de ces pauvres qui étaient restés dans les services de médecine légale… Demande a été faite de les recevoir par voie d’avocats, ils ont été rendus puis envoyés en Israël pour rejoindre les corps qui s’y trouvaient déjà.
Cela a été fait au fur et à mesure, et Zaka en Erets Israël a ainsi reçu à quatre reprises des restes funéraires pour les mettre en terre. Il faut signaler ici que les services de médecine légale se sont conduits avec beaucoup de compréhension, acceptant de dépasser la date limite d’un an pour qu’ils avaient pour les rendre, ou pour… les jeter.
Difficile de rester indifférent devant ce qui s’est passé là : somme toute, pour nous, le peuple juif, le respect des morts constitue une notion centrale, incontournable. Toute notre nation est prête à fournir des efforts inouïs et incroyables pour pouvoir récupérer le corps d’un seul soldat, quitte, parfois, à libérer mille (!) terroristes pour cela. Aujourd’hui, on reproche également à Israël de ne pas rendre le corps d’un terroriste – et voici, d’un autre côté, que la France se conduit si « bien » envers nos morts ! La notion de respect des défunts demeure certes, en France, plus que désuète – et Kountrass fait campagne à ce sujet depuis quelques années. Toutefois, dans les présentes circonstances, si dramatiques, un tel manque de considération pour notre sensibilité et notre conception des choses ne peut que rebuter.
Nous savons pertinemment que la France répondra que telle est la loi. Après tout, les services de médecine légale n’auront fait que s’y plier. Néanmoins, on eût pu sans aucun doute s’attendre à ce que, pour un cas si grave, la conscience et la sensibilité des gens aient le droit d’être respectées…
La police avait cherché à bien identifier le responsable de la mort de ces personnes : les terroristes, ou… les agents de sécurité. Dans le cas du regretté Jonathan Sandler הי »ד, nous dit le rav Avraham Weinberg, les corps ont été libérés de suite, car il n’y avait aucun doute quant à l’identité du meurtrier. A Vincennes, c’était moins évident. Toutefois, les médecins légistes auraient pu se suffire d’extraire les balles ; cela aurait permis d’apporter une réponse immédiate et indiscutable.
Triste dénouement… Fort tragique, du reste.
Les problèmes que nous pose la médecine légale
En marge de ce scandale, il nous faut apporter quelques précisions.
Le premier heurt entre la communauté juive et les services de médecine légale a une date : c’est quand le public se préparait à accompagner l’épouse du rav Guedalia Nadel (1923-2004) à sa dernière demeure en 1975, qu’on a découvert un drame d’une dimension alors inconnue : le corps de cette relativement jeune dame (qui, à 50 ans, laissait derrière elle neuf enfants, dont seulement deux mariés) avait été mutilé par les services de la médecine légale israélienne. Cette dame souffrait du cœur, et sans aucun doute, son mari, l’un des plus importants disciples du ‘Hazon Ich, avait tout fait pour lui assurer les meilleures conditions médicales possible. Ceci, d’autant plus qu’on sait bien que le ‘Hazon Ich, justement était très versé dans ce domaine, et que son entourage conçoit également de prendre toutes les précautions pour une santé optimale.
Le public était présent, mais le mari a refusé que l’enterrement ait lieu avant la restitution à la famille de tous les restes funéraires ! Cela a prit quelques jours… Ce, en Erets Israël, où l’on fait tout pour enterrer les morts le jour-même.
A partir de là, le public a commencé à faire très attention à ce « détail ». Très souvent, des cas de mort soudaine entraînent une grande activité chez certains responsables, qui cherchent à obtenir des tribunaux et de la police que l’on enterre ces gens malgré les questions éventuelles. Avec le temps, divers accords ont été pris, notamment sur l’utilisation de dispositifs spéciaux (IRM), pour une analyse des cas sans profanation des corps. Parfois, aussi, le tribunal accepte que l’on se contente d’une vérification externe au corps avant l’inhumation.
Ceci est valable dans le pays, quand tous les intervenants sont juifs, et comprennent, finalement, l’importance du respect des morts.
A l’étranger, évidemment, la question est de loin plus délicate : la conception du monde non-juif s’avère totalement différente, pratiquement à toute considération pour le corps humain. Pire encore : à partir du moment où un défunt fait l’objet d’une enquête, la loi veut attribuer son corps à l’Etat, et la famille n’a plus rien à dire ! Ceci est également vrai, soit dit en passant, dans le cas de corps déterrés à la suite d’une « exhumation administrative », ou à plus forte raison quand les gens n’ont pas su faire attention à prendre une tombe à perpétuité.
S’il faut vérifier les causes de la mort d’une personne, donc, la médecine légale est appelée à intervenir. Juridiquement, le corps appartient à l’Etat.
Toutefois, dans le cas présent des morts de l’Hyper Cacher, nous concevons que les autorités auraient dû tenir compte de la sensibilité de la famille, et cette partie délicate de l’enquête aurait dû être faite en collaboration avec la famille. Evidemment, la question est à renvoyer également à la communauté juive, qui aurait dû se mobiliser pour éviter une telle intervention, ou la réduire au minimum – sans oublier d’exiger la restitution des membres au plus vite, au moins avant l’envoi des corps en Erets Israël.
Il nous faut, enfin, aborder l’aspect le plus délicat de cette question. Rav Weinberg, gendre du rav ‘Hayim Rosenberg, est l’un des membres de la communauté juive orthodoxe de Paris les plus impliqués dans ce sujet. Il a attiré notre attention à ce propos : il peut arriver, nous a-t-il raconté, que le juge se montre compréhensif à l’égard de nos traditions ; or, que peut-il faire ? Récemment, par exemple, l’épouse d’un homme mort à son domicile nous a demandé de tout faire pour obtenir le corps sans autopsie. Le juge a accepté, non sans dire qu’il n’était pas certain que son geste allait servir à quelque chose. Et, en effet, une heure plus tard, la veuve revenait vers les responsables de la ‘hévra kadicha pour leur demander d’accepter l’autopsie : la compagnie d’assurance, qui devait payer une grande somme à la veuve, lui avait annoncé sa condition : l’autopsie ! … On peut trouver ce genre de situations en Erets Israël également, bien entendu.
Un sujet qui demande encore énormément d’efforts, tant sur le plan des relations interculturelles de la part de notre communauté, que sur celui de l’éducation du public : un intérêt financier a-t-il le droit de nous amener à accepter une profanation du corps de nos proches ?
Aucun commentaire