En conclusion à tous les éléments dont il a été question dans nos deux derniers numéros, que proposons-nous ?
Distinguons le plan communautaire du plan individuel.
Sur le plan communautaire
En tout état de cause, il est scandaleux qu’aucune démarche ne soit entreprise pour améliorer la situation.
Il est vrai qu’il n’est pas possible d’ouvrir des cimetières confessionnels en France (loi du 28 juillet 1881). Ce texte de loi s’inscrit dans la volonté générale de la IIIe République de laïciser progressivement la société française. Sept ans plus tard, les maires des communes ont obtenu le monopole de la gestion des cimetières, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Aucune association ne peut construire ou gérer son propre cimetière. La loi de séparation entre l’Eglise et l’État de 1905 réaffirme dans son article 28 qu’il est « interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ». En clair, seules les tombes et les monuments funéraires peuvent indiquer clairement la religion du défunt, mais pas les parties communes du cimetière.
A priori, les dispositions locales sont les mêmes dans toutes les régions. Le maire décide du type de concessions (classiquement : perpétuelle, 10/30/50 ans) et réserve le droit à l’inhumation aux habitants de sa commune.
Seule l’Alsace-Moselle fait exception, gérée par les règles du Concordat.
Cela étant, il est envisageable d’agrandir les anciens cimetières privés existants.
Autre ouverture possible : un rapport commandé par la Présidence de la République au Pr Jean-Pierre Machelon1 concluait en préconisant la création de cimetières privés justement afin de « fixer » les gens au sol français… pour une meilleure intégration : « L’absence de carrés confessionnels constituerait la cause majeure de l’expatriation d’environ 80% des musulmans décédés… Un phénomène similaire s’observe – bien que moins marqué, chez les croyants de confession israélite en direction d’Israël… » Ledit professeur conclut en préconisant la création de cimetières privés, et « … il pourrait être envisagé à terme, par voie législative, d’en autoriser l’agrandissement, voire d’ouvrir la faculté d’en créer de nouveaux… »
En avril 2012, un rapport de la Commission parlementaire européenne écrivait, en résumé, que « les cimetières juifs sont nombreux en Europe et doivent être protégés et préservés. Ils font partie du patrimoine culturel européen et constituent un élément important dans la religion juive. Ces cimetières sont probablement plus menacés que ceux des autres confessions représentées en Europe, en raison de l’histoire tragique du Peuple juif qui a conduit à l’extermination, à l’exode ou au transfert de nombreuses communautés locales. Les gouvernements, les membres des communautés juives et les organisations de protection du patrimoine ont la responsabilité de mettre en place des formes appropriées de coopération pour assurer leur protection. L’Assemblée parlementaire fait donc un certain nombre de recommandations pratiques aux Etats membres et appelle les différents acteurs à agir ensemble. L’Assemblée invite également l’Union européenne à coopérer avec le Conseil de l’Europe en développant des lignes directrices et des incitations financières pour la protection et la préservation des sites du patrimoine juif… »
Ces quelques éléments prouvent qu’il y a moyen d’agir.
Il n’y a donc pas de raison de rester passifs et de se réfugier derrière les dispositions législatives actuellement en vigueur. Il faut mettre en place un vrai travail de lobbying, au niveau national et au niveau européen, afin de discuter et de trouver des solutions – et les seuls deux textes présentés ici prouvent qu’il y a moyen d’agir.
Or, pour l’heure, rien n’est fait, à notre connaissance, à la grande honte de la communauté.
Ajoutons que, dans la situation dans laquelle nous sommes actuellement, il est incompréhensible que des propositions faites par des rabbanim ne soient pas suivies : mettre en place un service de suivi des tombes, d’enregistrement des noms des familles et des descendants, et de mise à jour de ces données, pour tenir les descendants informés.
Il est difficile de comprendre pourquoi les autorités communautaires n’œuvrent pas pour obtenir un changement en ce qui concerne le droit de parole au sujet des tombes anciennes : comment se fait-il que des gens enterrés depuis de longues décennies, qui ont eu leurs enfants tués par les nazis, soient à présent jetés de leurs tombes, par manque de descendants directs ! Voici un argument qui devrait être présenté aux autorités civiles.
Dans la pratique, si des tombes sont vidées contre notre gré, il faut évidemment exiger des pouvoirs publics que cela soit fait uniquement par des Juifs. Il faut que les restes funéraires soient portés en terre dans un site appartenant à la communauté, chaque squelette séparément; mais il reste évident que la Halakha ne permet pas ce genre d’extraction, puisqu’elle n’est pas effectuée pour assurer une meilleure place au défunt, mais pour céder la tombe à d’autres.
En conclusion, il est difficile de comprendre comment une communauté qui veille tellement au souvenir de ses ancêtres ait pu en arriver à un tel degré de laisser-aller et de légèreté. Comment peut-on dormir tranquille, quand on sait que plusieurs centaines de Juifs sont extraits de leur lieu de repos éternel et jetés dans des ossuaires (souvent en fait des fosses communes), ou menacés d’incinération selon les récentes dispositions légales ?
Au plan individuel
Il faut qu’une grande campagne d’information soit effectuée auprès de l’ensemble du public juif de la région parisienne.
Il faut conseiller aux Juifs d’enterrer leurs morts dans une autre région (Alsace-Moselle, peut-être Sud de la France…).
En Ile de France, il faut savoir que le pire est de demander une place dans les cimetières qui affichent complet, parce qu’on provoque l’exhumation d’un autre Juif, ce qui est une grave faute.
Il reste dans la région parisienne des cimetières où les problèmes dont nous parlons ne se posent pas encore, tels que les cimetières de Thiais ou de Valenton. Mais il faut savoir : 1) que la Halakha oblige d’acquérir une concession perpétuelle et que 2) il n’est pas certain que dans quelques dizaines d’années ces cimetières ne soient pas à leur tour saturés.
En attendant que volonté se fasse devant l’Eternel de nous accorder le retour de tous nos morts, de nos jours, bientôt, avec la venue du Machia’h !
Nombre de personnes de notre communauté songent, de ce fait, ou pour d’autres raisons qui sont les leurs, à enterrer leurs défunts en Erets Israël. Il faut dire qu’il a, de tout temps, été préféré de reposer en Terre sainte (cf. Ketouvoth 111a). Voyons tout de même quels sont les écueils à éviter.
1 Expert auprès du Conseil de l’Europe, Jean-Pierre Machelon est président du conseil scientifique du Centre d’études en sciences sociales de la défense. Entre 2005 et 2006, il a présidé la commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics (dite « commission Machelon »), qui a remis son rapport au Ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, Nicolas Sarkozy, le 20 septembre 2006.
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