JOËL MERGUI
PRÉSIDENT DU CONSISTOIRE
Q : Pendant de nombreuses années, le Consistoire central a refusé toute idée de déplacement des tombes juives situées en Algérie. Comment s’explique l’évolution de sa position ?
Joël Mergui : Le Consistoire a toujours veillé au respect de la mémoire juive en Algérie et à la préservation de toutes les tombes juives qui s’y trouvent. Peut-être avions-nous dans un premier temps une mauvaise évaluation du danger que courraient les tombes juives et notamment les plus isolées d’entre elles. Il faut savoir que depuis 2004, trois arrêtés ont permis de regrouper les tombes chrétiennes. Cette autorisation a alors accentué la vulnérabilité de certaines tombes juives qui se trouvaient à proximité des tombes chrétiennes déplacées. Ainsi, si l’on ne fait rien pour ces tombes qui se trouvent en danger, on se retrouve en contradiction avec la loi juive qui demande de les préserver.
Notre position a aussi évolué du fait que nous avons depuis que nous avons obtenu l’assurance que l’exhumation et la réinhumation des tombes se fassent selon les conditions halakhiques. Les autorités françaises et algériennes ont en effet accepté la présence d’un personnel religieux compétent au moment de ces transferts, ainsi que la réinhumation des corps avec linceul et cercueil. En France comme en Algérie, on se montre donc coopératif sur ce dossier. Nul ne sait si cette configuration demeurera sur le long terme. Je précise en outre que les autorités françaises se sont engagées à prendre financièrement en charge les déplacements de ces sépultures.
Q : Quelle est l’action du Consistoire central sur le dossier des cimetières juifs en Algérie ?
J.M. : Sachant qu’il n’y a plus de présence juive ni de Consistoire en Algérie, j’ai mis en place, en 2008, une commission des cimetières juifs d’Algérie visant à coordonner l’action des différentes associations d’originaires qui faisaient déjà un certain travail et pour s’assurer de la préservation de l’ensemble des cimetières juifs. Avec Jacques-Yves Bohbot et Serge Benhaïm, dont je salue le dévouement, nous avons ainsi rencontré à de nombreuses reprises des responsables du ministère des Affaires étrangères, afin de nous assurer que les quelque 50.000 tombes juives parmi les 200.000 tombes françaises seraient protégées et préservées, dans le respect de la Halakha. En 2014, Serge Benhaïm a effectué une mission dans la quasi-totalité des cimetières juifs d’Algérie, en coordination avec les autorités françaises et concertation permanente avec le grand rabbin Gugenheim, qui est dayan et qui assurait l’interim du grand rabbin de France. Ainsi, nous avons obtenu un état des lieux précis de tous les cimetières juifs d’Algérie, indiquant pour chacun d’entre eux l’état des tombes juives et assorti de recommandations. Pour certains de ces cimetières, des opérations de rénovations et d’élagages sont indiquées et seront réalisées par la France. Pour d’autres, qui totalisent un millier de tombes juives parmi les 50.000, il existe un risque de péril, en raison de leur localisation géographique, de leur exposition aux intempéries ou au développement des infrastructures locales. Face au risque de leur disparition, la recommandation est donc de les transférer vers des cimetières juifs mieux protégés. C’est ce que permet l’arrêté pris le 26 mai dernier. Il donne en effet la possibilité de procéder à ces exhumations et réinhumations de tombes juives. Il ne s’agit pas d’une obligation à agir, mais d’une option qu’il était fondamental d’obtenir. Sans cet arrêté, nous nous serions retrouvés dans l’impossibilité de déplacer ces tombes, même si elles risquaient d’être détruites. Par ailleurs, nous rappelons que les familles ont la possibilité de ramener en France les sépultures de leurs parents concernés par l’arrêté. Le Consistoire les accompagnera et les conseillera dans leurs démarches au cas par cas.
Q: Ce projet d’exhumation des tombes juives algériennes provoque une levée de boucliers parmi certains milieux orthodoxes. Comment expliquez-vous cette réaction ?
J.M.: Il y a sans doute une mauvaise compréhension du sujet. Il n’est absolument pas question de détruire les tombes ou de ne pas faire les choses dans les conditions de la Halakha. Soyons donc clairs : aucune tombe ne sera déplacée si elle n’est pas en péril et si son déplacement ne se fait pas selon les conditions halakhiques. Le dayan Yirmiyahou Cohen et le rav Messas, zl, avaient en leur temps précisé les conditions halakhiques qui devaient être respectées. Il n’y a pas non plus de risque de placement dans un ossuaire ou d’incinération, comme on a pu l’entendre par ailleurs. Quant aux exhumations qui pourraient être décidées, elles ne si feront qu’après analyse, tombe après tombe, des risque de péril qu’elles encourent, et en accord avec le grand rabbin de France, et tous les rabbins et dayanim français, et les personnes investies du sujet.
Q : Accepter d’exhumer des tombes juives en Algérie ne risque-t-il pas de créer de précédent préjudiciable pour les autres tombes juives situées ailleurs à travers le monde ?
J.M. : Si précédent il y a, il sera positif puisque tout devra se faire en conformité avec la Halakha. En accord avec les autorités françaises et algériennes, il s’agit d’accepter de déplacer des tombes juives pour s’assurer avant tout de leur pérennité et donc pour éviter qu’elles ne disparaissent. •
PROPOS RECUEILLIS PAR LAITITIA ENRIQUEZ
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