Le dossier des cimetières juifs d’Algérie, déjà bien familier pour nos lecteurs, a connu en cette seconde partie du mois de Eloul une lueur d’espoir. On peut peut-être espérer un changement définitif, grâce à l’intervention exceptionnelle et remarquable du rav Steinemann auprès du Président de la République française, François Hollande.
Dans sa lettre, le rav écrit :
« En tant que Juifs croyants, la survie de l’âme constitue l’un des points essentiels de notre foi. Toutes les générations de notre peuple ont toujours veillé au respect des tombes, afin de ne pas troubler le repos éternel des morts.
« Actuellement, il est question de détruire les cimetières en Algérie, situation particulièrement grave. La loi juive ne permet en aucun cas une telle profanation. De ce fait, nous nous permettons de nous adresser à vous, M. le Président de la République, au dévouement bien connu à l’égard du peuple français en général, et de la communauté juive en particulier, pour vous demander d’exercer votre influence sur le gouvernement algérien, afin d’éviter cette destruction. Indubitablement, la France, par sa tradition de respect envers tous les cultes, saura agir afin d’éviter la profanation des tombes, et respecter le repos éternel en France comme en Algérie. »
Cette intervention est importante à double titre.
D’abord, elle vient montrer au Président de la République que l’ensemble des autorités rabbiniques du monde entier est uni derrière la position que nous défendions, celle selon laquelle il fallait à tout prix que la France continue à assurer la garde de ces cimetières, ainsi qu’elle s’y est engagée à la fin de sa présence dans cette ex-colonie. De fait, la Halakha ne nous permet pas de faire le geste qui nous est demandé et d’autoriser un tel « regroupement ».
Deuxièmement, si la personnalité la plus éminente du judaïsme actuel emprunte une telle position, qui peut se permettre de dire autre chose ? Voici donc qui boucle de manière hermétique toute autre possibilité.
Cette lettre a été précédée par deux autres réponses de deux rabbanim, marquantes dans ce dossier.
En premier lieu, on a celle de l’ancien dayan du Consistoire, le rav Yirmiahou Cohen. Il avait été consulté, avec le Grand rabbin de Paris, le rav David Messas, à propos de tombes isolées dans des carrés confessionnels de cimetières municipaux qu’on allait vider. Là, ces rabbanim avaient autorisé une exhumation. Néanmoins, a protesté le rav Cohen, cette dérogation ne s’applique pas quand il s’agit de vider des cimetières entiers ! « Et j’ai écrit que, puisque les autorités ont décidé qu’il faut exhumer ces tombes pour les raisons qui sont les leurs, et qu’ils sont les responsables de ces lieux, nous avons émis la demande qu’au moins, des Juifs soient présents au moment où cela sera fait, et s’assurent du bon respect des morts … Et de leur transfert dans des lieux de sépulture juifs. Mais de là à en déduire une autorisation à prendre des cimetières entiers et à déplacer une trentaine de ce sites funéraires ! On m’a signalé en plus qu’il ne s’agit que de saisir les tombes identifiées par la présence des pierres funéraires. Pourtant, autour d’elles ont été enterrés des centaines de corps juifs, qui n’ont plus de pierres tombales pour diverses raisons – visiblement, comme ailleurs, ces pierres ont été retirées pour servir à d’autres utilisations privées. Il ne fait aucun doute que d’innombrables autres Juifs ont trouvé le repos dans ces cimetières. Cela serait honteux et scandaleux au niveau international si l’on exhumait juste les Juifs qui ont encore des pierres tombales indiquant leurs tombes, et que le reste de ces cimetières soit abandonné à l’utilisation profane. »
Le rav Cohen ajoute encore : « Tout déplacer représente un travail monstre, et il est de plus interdit d’annuler des cimetières entiers. On n’a jamais entendu une telle conduite. Et, de plus, que D’ nous en préserve, ceci peut avoir des conséquences terribles pour l’ensemble des cimetières du monde entier, des centaines et des milliers, comme en Amérique du Nord ou en Europe. Ainsi, à cause de cette décision, une tache terrible finira par peser sur l’humanité tout entière, incapable de respecter le repos éternel des gens qui ont œuvré dans leur pays durant deux millénaires, comme on le sait. Sans aucun doute, les gouvernements français et algérien se voient obligés de continuer à assurer la garde totale de ces cimetières. Ce n’est pas humain qu’un pays ne puisse garantir le repos de ses citoyens après leur décès… Je vous demande donc de transmettre ma requête aux autorités françaises et algériennes, avec tous mes respects. Je proteste contre ce projet, et il n’est pas correct d’utiliser notre lettre, rédigée face à une exhumation de tombes isolées, et d’en tirer une autorisation globale. »
Pour sa part, le rav Eliakim Schlésinger, dirigeant du comité de sauvegarde des cimetières européens et roch Yechiva de la Yechiva haRama de Londres, a fait paraître une décision rabbinique claire, contre le déplacement de cimetières, précisant qu’il fallait « que l’on s’occupe de chaque tombe de manière séparée, ainsi que de tous les ossements, grands et petits. Par contre, les remettre dans une tombe collective n’est pas une exhumation, mais une destruction de tombes ».
Cette condition, ainsi que toutes les autres exigées, ne peuvent pas être remplies en cette occurrence. En conséquence, « comme cela est impensable lors du déplacement d’un cimetière entier, il n’y a aucune autorisation à l’effectuer.»
Il témoigne d’un point très important : « Voici une vingtaine d’années, a été émise une décision rabbinique signée par tous les rabbanim d’Europe interdisant l’exhumation de cimetières. S’ajoute à présent une autre cause : innombrables sont les cimetières abandonnés, et si l’on accepte, que D’ nous en préserve, de les vider, tous les cimetières d’Europe seront mis en danger ! Sur cette interdiction figurent les signatures du rav Kreizwirt, Ravad d’Anvers, le rav Padva, Ravad de Londres, le rav Ségal, le rav Moché Soloveitchik, et, qu’ils aient droit à une longue vie, le rabbi de Pshwork, le rav Touvia Weiss, Ravad de Jérusalem, et le rav Schneebald, Ravad de Manchester. Le rav Wozhner zatsal, auteur du Chéveth haLévi, avait prononcé une mise en garde particulièrement forte, selon laquelle quiconque en craint pour sa personne ne doit en aucune manière aider à donner son accord à un tel traitement. »
Précisons enfin que, sur le plan de la « chadlanouth », plusieurs groupes oeuvrent depuis lors pour faire avancer ce dossier dans la bonne direction : il s’agit du rav (Lord) Yits’hak Shapira de Londres/Tel Aviv, et de Mr Malcolm Hoenlein, dirigeant du comité des présidents et des organismes juifs aux Etats-Unis (Conference of Presidents of Major American Jewish Organizations), également mêlé aux efforts déployés pour faire bouger les choses.
Souhaitons que cette intervention remarquée du rav Steinemann serve à mettre fin aux hésitations sur les cimetières algériens.
Le pas suivant : les cimetières parisiens ?
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