Le Grand rabbin Gugenheim a accordé une interview à l’hebdomadaire Hamodia, et nous, l’équipe de Kountrass, y avons trouvé un grand encouragement dans notre travail ! Enfin une autorité consistoriale qui aborde le sujet des tombes juives dans la région parisienne et de l’inadmissible profanation à laquelle sont exposés ces innombrables « methé mitswa« .
Voici les paroles du Grand rabbin, puis nos commentaires.
…Outre ces changements intervenus, quelle vous paraît être la priorité du Consistoire de Paris aujourd’hui ?
L’une des priorités qui me tient particulièrement à cœur, et je vous remercie de me donner l’occasion d’en parler, c’est la situation de la ‘Hévra Kadicha et des cimetières. Pour la ‘Hévra Kadicha, j’ai le plaisir d’annoncer à vos lecteurs que j’ai réactualisé le « Guide des derniers devoirs », que j’avais rédigé en son temps pour le Consistoire de Paris, et qui est un recueil complet des règles et lois concernant les endeuillés. Il est maintenant disponible en ligne sur le site du Consistoire.
Quant aux cimetières, je dois reconnaître qu’avant de devenir Grand rabbin de Paris, je ne connaissais pas bien leur fonctionnement, et je suppose donc que c’est le cas de nombre de nos coreligionnaires.
C’est pourquoi il me semble important de livrer quelques consignes à vos lecteurs, en ce qui concerne les carrés israélites des cimetières communaux – et c’est d’ailleurs indirectement lié à la ’Alya. Lors d’un décès, le prix d’une concession dépend de la durée d’utilisation de cette concession. Lorsque la concession arrive à échéance ou bien qu’elle n’est pas entretenue, il y a une « reprise administrative », ce qui signifie que les ossements sont exhumés. Les membres de notre communauté qui font leur ‘Alya vont s’éloigner des tombes de leurs proches inhumés en France. Ils risquent en Israël d’être pris dans leur propre engrenage, qui risque de leur faire oublier la tombe de ces proches restés en France. Ils doivent donc se renseigner et savoir : d’abord qui est le propriétaire de la concession où reposent leurs proches, et qui seul est habilité à prolonger la concession et à entretenir la tombe.
Ensuite, ils doivent vérifier quand la concession arrive à échéance et ils pourront ainsi, le cas échéant, renouveler cette concession. À noter : le cimetière n’exhume jamais des ossements sans prévenir la famille. Mais si celle-ci se trouve à l’étranger, la direction du cimetière se contentera d’envoyer un courrier à l’adresse dont elle dispose. Donc, à nos fidèles qui décident de monter en Israël en laissant des proches inhumés dans un carré israélite, je suggère de laisser à la direction du cimetière une adresse actualisée, même une adresse mail, et même en Israël. À noter aussi que tous ces éléments sont déjà consignés au Service ‘Hévra du Consistoire, lorsque l’inhumation s’est déroulée sous ses auspices. Il est donc recommandé de réactualiser ces données auprès de ce service également. Cela permettra d’éviter une exhumation qui, selon la Halakha, est considérée comme « ‘herdat hameth », c’est-à-dire qu’elle perturbe gravement l’âme du disparu.
Vous avez fait un lien avec la ’Alya. Mais si les autorités françaises se heurtent à un problème de place chronique, pourquoi le Consistoire n’envisagerait-il pas l’acheminement vers Israël des dépouilles mortelles appelées à être exhumées ?
Cette option existe. Et certaines familles, avant de s’installer en Israël, prennent ce type de disposition et acheminent les ossements de leurs proches en Israël où ils sont mis en terre. La Halakha le permet pleinement. D’ailleurs, le Consistoire a obtenu un allègement considérable des procédures administratives pour l’organisation de ces transferts. Mais seul l’ayant droit peut entreprendre cette démarche. Le Consistoire ne peut aucunement décider unilatéralement d’acheminer les ossements de défunts juifs sans l’autorisation de leurs proches. Et d’ailleurs, permettez-moi de rendre hommage à l’action permanente de trois personnes au Consistoire dans ce domaine délicat : d’abord le rabbin Aimé Atlan, Directeur de la ‘Hévra, et ensuite l’ancien et le nouveau président de la commission ‘Hévra, Jack-Yves Bohbot et Serge Benaïm qui font, tous trois, sous la houlette de Joël Mergui, un immense travail.
Qu’en est-il des ossuaires ? À partir du moment où le Consistoire a obtenu que les ossements de défunts juifs soient placés dans un ossuaire spécial, et qu’apparemment aucun des proches des défunts ne vient les réclamer, pourquoi ne pas envisager un transfert de ces ossements vers Israël ?
Il y a là une autre difficulté qui surgit. La Mairie de Paris nous a indiqué que le cimetière reste responsable des ossements qui lui ont été confiés. Même si ceux-ci sont exhumés et placés dans un ossuaire, la responsabilité du cimetière reste entière. Sauf s’il y a une demande précise d’un ayant droit. Par ailleurs, j’ai obtenu de la Mairie de Paris l’assurance que tout ossement exhumé d’un carré juif serait réinhumé dans un ossuaire, et ne saurait faire l’objet d’une incinération…
La juridiction concernant les carrés confessionnels
Il est probable que le public ne soit pas particulièrement au courant de la faible base juridique sur laquelle reposent les carrés confessionnels, et des risques qu’il prend en confiant ses défunts à de tels sites.
La création de carrés confessionnels est actuellement laissée à la libre appréciation du maire, au titre de son pouvoir de fixer l’endroit affecté à chaque tombe dans les cimetières. Elle n’a pas plus d’assise juridique que cela.
De plus, le carré confessionnel ne doit pas être séparé du reste du cimetière par une séparation matérielle de quelque nature qu’elle soit, mais constituer simplement un espace réservé dont la disposition générale permet l’orientation des tombes dans une direction déterminée.
Il n’appartient pas au maire, saisi d’une demande d’inhumation dans le carré confessionnel du cimetière communal, de vérifier la confession du défunt. Mieux encore, dans un arrêt du 5 juillet 1993, concernant les « époux Darmon » (qui voulaient enterrer leur enfant non-juif dans le carré juif), le tribunal administratif de Grenoble a considéré que le maire ne pouvait pas refuser son ensevelissement dans le carré israélite, même si les autorités religieuses déniaient l’appartenance de la personne décédée à leur confession !
Les textes officiels fixent que la reprise des sépultures constitue une nécessité ! Elle permet en effet non seulement d’attribuer des emplacements aux nouveaux défunts, mais également de préserver la sécurité et l’hygiène du cimetière, lorsque les concessions particulières ne sont pas suffisamment entretenues.
Elle peut être décidée par le conseil municipal à l’expiration du délai de rotation – de cinq ans au moins – pour les sépultures en terrain commun et en cas de non renouvellement ou d’abandon pour les concessions particulières.
L’exhumation du corps est décidée par le maire. La présence d’un parent ou d’un mandataire de la famille n’est pas nécessaire et les personnels chargés de cette opération n’ont pas à posséder l’habilitation funéraire, à l’inverse de ce qui est prévu pour les exhumations effectuées à la demande des familles. En revanche, une surveillance par des fonctionnaires est requise, et l’absence de respect dû aux morts peut être constitutive du délit de violation de sépulture et d’atteinte à l’intégrité du cadavre.
Les restes exhumés doivent être « réunis dans un cercueil de dimensions appropriées », dénommé reliquaire ou boîte à ossements, pour être réinhumés dans l’ossuaire. Le maire a toutefois la faculté de faire procéder à la crémation des restes présents dans les concessions reprises… Mais la tendance actuelle est d’éviter la crémation des restes funéraires de Juifs, en tout cas depuis l’an 2 000.
La Mairie de Paris nous a déjà informés du fait qu’aucune distinction religieuse n’est plus respectée dans le cadre des ossuaires.
Enfin, ajoutons que du fait de ces exhumations administratives et de l’ensevelissement d’autres personnes à leur place, les carrés juifs finissent par disparaître d’eux-mêmes.
On ne sera pas étonné de savoir que 80 % des corps des personnes de confession musulmane décédées dans notre pays sont expatriés à leur décès… Dans la communauté juive, une certaine prise de conscience est de plus en plus sensible, mais on peut regretter qu’elle ne soit pas encore suffisamment généralisée. •
Commentaires (Kountrass) :
C’est bien la première fois qu’une personnalité consistoriale de ce niveau fait une telle déclaration publique à l’intention de notre communauté et il nous semble devoir prononcer la bénédiction « chéhé’hiyanou » (« Qui nous a permis d’arriver à cette période ») sur une telle déclaration (ou peut-être « me’hayé haméthim » – « Qui rescucite les morts ») ! D’après nos renseignements, les « exhumations administratives » sont effectuées depuis très longtemps dans les cimetières parisiens, en particulier celui du Montparnasse (rappelons les tristes découvertes des ossements du rav Lewin zatsal dans l’ossuaire public du Père Lachaise, ou ceux des époux Tedesco), et elles sont pratiquement quotidiennes au cimetière de Pantin qui est plus que saturé.
Comme il est assez évident que même les descendants de Juifs inhumés dans les carrés juifs dits « confessionnels » de la région parisienne (bien que le problème se pose ailleurs également, mais il est plus aigu dans le bassin parisien, du fait de la grande population y vivant et, ipso facto, y décédant) ne sont pas éternels, le problème se pose aussi avec eux : il suffit d’un déménagement, et d’un manque de mise à jour du registre du cimetière pour qu’après une simple procédure administrative, la tombe soit exhumée et la place remise en vente par la municipalité ; et il arrive malheureusement aussi que la descendance (pas forcément juive…) se désintéresse totalement du sort de ses aïeuls.
Toutefois, la mairie n’est censée prévenir les ayants droit que dans le cas de concessions perpétuelles. Quand il s’agit de tombes réservées pour un temps défini, trente ou cinquante ans, la municipalité n’est pas tenue d’avertir les descendants de l’expiration des concessions … A la famille de s’intéresser au sort de ce genre de concessions funéraires, sinon, l’exhumation administrative est automatiquement prononcée, selon la règle deux ans après la date d’expiration.
A quel titre l’exhumation pose-t-elle problème ? Juste parce qu’elle fait peur au mort (en fait, « herdath hadin », la crainte d’être appelé au jugement dernier, ainsi que l’on constate avec le prophète Chemouel – I,28,15) ?
Il y a des raisons plus importantes : d’abord, la Halakha interdit totalement qu’un non-Juif s’occupe du corps d’un défunt (nous avons publié dans nos colonnes la réponse du rav Yits’haq Zilberstein, le gendre de rav Eliachiv, à ce sujet) ; de plus, quand c’est un employé municipal qui effectue l’exhumation (et quiconque connaît un peu la question sait que les fossoyeurs forment une catégorie professionnelle très dévalorisée parmi les fonctionnaires), il est évident que la tâche n’est pas accomplie avec la qualité exigée par notre tradition (ils prennent parfois une demi-heure par sépulture, alors que les spécialistes de Zaka, appelés par les familles pour réaliser une exhumation vers Israël ou dans d’autres circonstances, mettent souvent près de trois heures pour bien s’assurer d’avoir recueilli l’intégralité des ossements).
Puis le grand problème n’est pas abordé : existe-t-il un ossuaire juif ? Non ! Autrement dit, les défunts juifs qui sont enlevés de leurs tombes par exhumation administrative sont, dès lors, déposés dans un ossuaire public municipal, sans distinction aucune entre Juifs et goyim (nous avons publié la mise au point de la municipalité de Paris dans ce domaine, laquelle était absolument claire sur la nécessité de respecter le principe de laïcité même après la mort – en tout cas, à son point de vue, car il se peut que de point de vue juridique, il soit possible d’exiger la fondation d’un ossuaire réservé aux membres d’une communauté religieuse, à condition bien entendu que les modalités d’ensevelissement correspondent à celles prévues par la Halakha) !
Ceci, à l’exception de l’ossuaire prévu à Valenton, mais à notre connaissance, il n’est pas encore utilisé. De plus, il ne correspondrait pas aux exigences de la Halakha (qui exige que le défunt soit déposé dans la terre et qu’une véritable séparation distingue les corps).
Enfin, s’il est vrai que l’on nous affirme avoir cessé « officiellement » d’incinérer des restes funéraires juifs, quelle garantie avons nous que cette promesse « électorale » soit respectée ? En effet, l’accès à l’ossuaire est strictement interdit au public, et sa gestion est sans aucune possibilité de contrôle !
Comment nous contenter d’une simple parole dans un domaine aussi important, foulé aux pieds depuis de longues décennies par les pouvoirs publics ?
Le grand problème – non abordé dans cette interview – est celui du blocage absolu des autorités municipales quand la famille demande à récupérer les ossements d’un proche, déjà déposés dans l’ossuaire. Le cas du couple Tedesco a été une exception, mais quand la famille s’est adressée à la Mairie pour obtenir également la restitution des restes funéraires d’un fils et d’un petit-fils du couple, la réponse a été négative, et appuyée sur les dires du ministre de l’Intérieur. Pourtant, nous ne faisions que proposer à la Mairie de la libérer de quelques restes funéraires, elle qui se plaint par ailleurs de ne plus avoir de place dans son ossuaire et d’être ainsi obligée de les incinérer.
Et puis, quel manque de respect envers la dignité familiale ! A quel titre la municipalité peut-elle accaparer les restes funéraires de nos ancêtres et les conserver par-devers elle, sans même nous permettre de nous recueillir devant leur tombe, ou au moins devant une plaque souvenir ? (Bien entendu, entre nous, nous parlerions plutôt de la visite de la tombe, du Qadich prononcé, des Michnayoth étudiées…)
Or nous sommes convaincus qu’un travail intelligent permettrait de résoudre ce problème – nos propres démarches en ce sens face aux autorités officielles françaises nous l’ont bien prouvé.
Ainsi, la présente ouverture du Grand rabbin de Paris est plus que louable, mais il reste énormément de travail à fournir, tant sur le plan de l’information élémentaire des membres de la communauté, que sur celui des exigences dont les responsables de la plus grande communauté juive d’Europe doive faire valoir face à la municipalité de Paris.
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