Les enquêtes parues dans Kountrass ont entraîné un nombre important de réactions.
Rapportons-les ici.
Quand le repos éternel a ses limites…
L’un de nos lecteurs, M. Efraïm Mol, s’est inquiété du sort réservé à la tombe de proches enterrés dans le carré juif de Verneuil, cette petite ville des Yvelines. Le maire lui a répondu (avril 2005) :
« Je vous informe par la présente que pour toutes concessions de 30 ou 50 ans non renouvelées par la famille deux ans après la date d’échéance de ces concessions, la commune peut procéder, sans avoir obligation de prévenir les familles, à l’exhumation des corps s’y trouvant (article L.2223-1 et suivants du Code Général des Collectivités Territoriales).
« Les restes sont ensuite mis dans un reliquaire qui est déposé dans un caveau prévu à cet effet et non dans une fosse commune.
« Cette procédure est appliquée à Verneuil sur Seine comme dans beaucoup de communes.
« Le caveau est commun à toutes les exhumations ».
Autrement dit, la situation dans les petites communes d’Ile de France semble meilleure que dans les cimetières de Paris même : le maire ne semble pas envisager de vider les tombes acquises à perpétuité (si toutefois on en trouve dans ce cimetière). En revanche, pour les tombes acquises pour des périodes limitées, la commune peut ressortir les ossements et les déposer dans un caveau. Les accords concernant les carrés confessionnels séparés n’ont plus cours, et nos morts se retrouvent dans l’égalité et la fraternité d’un caveau pour tous… Puisque l’exhumation et le dépôt dans un caveau commun vont à l’encontre de la Halakha, l’avenir de ces tombes n’est pas très encourageant…
Toutefois, sur le point des « ossuaires » communs, il aurait pu en être autrement, à en croire la réponse qu’a obtenue ce même lecteur de la Direction Générale des Collectivités Locales en date du 29 septembre 2008 :
« Dans le respect des principes de laïcité et de neutralité, la législation en vigueur interdit la création, dans les cimetières, d’emplacements spécifiques en raison du culte ou des croyances des défunts. La liberté des funérailles, consacrée par la loi du 15 novembre 1887, garantit néanmoins à chacun la possibilité de donner un caractère civil ou religieux à ses obsèques.
« Dans le respect de ce cadre, le maire dispose d’une certaine capacité d’organisation du cimetière communal qui peut lui permettre de concilier l’attente des défunts et de leurs familles.
« C’est dans les mêmes conditions, prévues par le code général des collectivités locales, que le maire peut organiser l’ossuaire du cimetière communal, lorsqu’il existe.
« Ainsi, lors de la reprise de la sépulture ou de la concession par la commune, les dépouilles sont déposées dans un ossuaire commun et un registre est ouvert pour y porter des personnes exhumées. A l’instar de la faculté accordée au maire dans la gestion de l’emplacement des tombes, celui-ci peut faire aménager l’ossuaire et regrouper les ossements des défunts. »
Il y aurait donc moyen de demander que l’ossuaire soit également réservé aux membres de notre communauté, ce qui a été le cas au tout début des exhumations de Patin. Mais ce dernier ossuraire s’est révélé par la suite n’être malheureusement qu’une fosse commune.
Toutefois, comme nous l’avons expliqué dans notre enquête, insistons sur le fait que cette notion d’exhumation va totalement à l’encontre de la Halakha.
Les déclarations du rav Yirmiahou Cohen, Av Beth Din du Beth Din du Consistoire de Paris
Le rav Yirmiahou Cohen, Av Beth Din du Beth Din du Consistoire de Paris, a accordé une interview à une chaîne de radio israélienne privée, radio Kol ‘Hai, au sujet de la situation dans les cimetières parisiens. Ce qu’il a dit est fort édifiant ! C’est Betsalel Kahn qui l’interrogeait.
« J’ai envoyé une lettre à la communauté il y a quelques années à ce propos, car c’est une histoire très triste. Mais le problème commence en aval : il y a un grand problème de place dans les cimetières parisiens, et c’est pourquoi la municipalité n’accorde de concessions que pour une période limitée. Or c’est à la famille de se soucier de ce problème : si elle accepte le principe d’une concession à durée limitée, que pouvons-nous y faire ? Toutefois, j’ai demandé à ce que quelqu’un soit responsable de prévenir les familles quand leurs proches risquent d’être extraits de leur tombe. Là aussi, rien n’a été fait.
« J’ai aussi tenté d’obtenir la liste des morts qui devaient être sortis de leurs tombes, mais les autorités civiles m’ont répondu que cette liste est secrète ! Si nous avions au moins de tels renseignements, nous pourrions rechercher les descendants de ces défunts, afin de leur suggérer d’intervenir.
« J’ai aussi demandé en son temps à la ‘Hévra Kadicha, mais sans succès, qu’il y ait une personne déléguée pour s’occuper de l’exhumation des morts juifs. Au moins cela ! Mais cela n’a pas été organisé. »
Que peut-on ajouter, si le Av Beth Din du Consistoire avoue son impuissance !
Notons que les gens qui acceptent une concession limitée dans le temps ne sont en général pas au courant des incidences de leur acte, et qu’aucune campagne d’information n’a été lancée par les autorités de la communauté.
Mais cela servirait-il réellement à quelque chose ? Les gens qui ont pensé avoir droit à un repos éternel ne sont pas moins rejetés de leurs tombes (pour faire place à des non-Juifs. Mais même si cela était pour d’autres Juifs, cela est aussi exclu par le Choul’han ‘Aroukh § 363 !), pour finir déposés dans des boîtes non enterrées (si ce n’est d’une vague couche de terre symbolique, ce qui ne correspond en rien avec les dispositions de la Halakha). La mitswa que nous avons envers eux n’est pas accomplie, et l’obligation humaine qui nous incombe envers nos ancêtres et nos proches est anéantie !
Le rav Cohen ajoutait, dans son interview, l’information intéressante que la ré-inhumation des restes funéraires du rav Lévin, à laquelle il a pris part et dont nous avons parlé dans notre dernier numéro, a été effectuée au Mont des Oliviers, dans la partie où reposent les disciples du Maharil Diskin, qui étaient ses contemporains.
Et le rav Pezvner…
Le rav Avraham Baroukh Pezvner, l’un des principaux rabbanim de la communauté loubavitch de la région parisienne, nous a fait part de plusieurs remarques concernant notre enquête sur les cimetières de cette même région.
Le cimetière de Valenton
Il a attiré notre attention sur le fait que, pour éviter les problèmes que nous avons soulevés dans notre enquête, une partie du public se dirige vers le cimetière de Valenton (Val de Marne) : bien que s’agissant d’un cimetière communal, les problèmes de place ne s’y posent pas car le cimetière est récent (NDLR : à condition toutefois que les gens qui y sont enterrés ont eu droit à une tombe perpétuelle…).
Toutefois, lui avons-nous fait remarquer, la commune de Verneuil, ainsi que nous le rapportons par ailleurs, est également une commune de ce genre, avec un cimetière assez restreint. Ceci n’a pas empêché le maire, comme dit, de faire savoir à ce lecteur cité plus haut que la commune a parfaitement le droit de disposer des ossements au terme de la période prévue, la loi lui conférant tous les droits sur ces restes funéraires ! Ainsi, rien ne garantit que les Juifs continueront à reposer en paix dans le cimetière de Valenton.
Soit dit au passage : on a dit dans la presse juive voici peu que le cimetière de Valenton contient un ossuaire conforme à la Halakha. Or nous pensons avoir clairement expliqué que cette formule est inacceptable : aucun ossuaire n’est construit selon la Halakha, puisque le fait d’exhumer un corps va à l’encontre du Choul’han ‘Aroukh, surtout si c’est pour attribuer l’emplacement à une autre personne !
De toutes manières, cet ossuaire est virtuel, puisque seul un contrat a été signé entre le Consistoire et le cimetière. Mais, à ce jour, nul ne s’est occupé de sa conception, ni sur le plan de la Halakha, ni sur le plan technique.
De toutes manières, la solution de Valenton, d’après nos renseignements, a été abandonnée par ses promoteurs, tant les tracasseries administratives étaient grandes.
Sa surface : environ 4 x 10 mètres…
Le scandale des descendants directs
Le rav Pezvner, dans l’entretien qu’il nous a consacré, attire également l’attention sur le problème posé par la loi : seuls les descendants directs du concessionnaire peuvent intervenir pour préserver une tombe. Or les descendants de nombreuses personnes enterrées en région parisienne ont disparu durant la Shoah. Qui protègera leurs tombes du sort que la municipalité leur réserve ? Personne…
Il faut, déclare le rav Pezvner, qu’une action soit entreprise pour changer la loi qui porte atteinte au souvenir des défunts.
Toutefois, si l’idée est très juste, il serait plus facile de parler. Mais, de nos jours, on ne change pas la loi, on y apporte des amendements. C’est une démarche bien plus facile et d’une grande efficacité.
Du reste, c’est par un simple amendement que l’un des principaux acquis de la Communauté juive française dans ce domaine a été réduit à néant ! Il était convenu que l’on n’incinère pas des ossements de Juifs. Dans la loi, il était question d’opposition présumée à la crémation – ce qui est donc le cas des personnes de religion juive, même si elles n’avaient pas exprimé leur opposition à une incinération de leurs restes funéraires. Mais un amendement dit de « simplification administrative » en date du 11 mais 2011, paru au Journal Officiel, retire la notion d' »opposition présumée » du texte de la loi. Seules les personnes ayant exprimé de leur vivant leur opposition à une incinération de leurs restes funéraires – autrement dit, personne, ou presque – sont épargnées. Grâce à cet amendement innocent, les ossements de tout Juif peuvent être incinérés en toute légalité…Que HaChem nous en préserve.
Un simple amendement suffit pour apporter une solution. Et, malheureusement, aussi pour l’annihiler.
La suggestion du rav Pezvner
Enfin, afin d’éviter que les tombes soient vandalisées, le rav Pezvner a suggéré au président du Consistoire, le Dr Mergui, de dresser une liste de toutes les tombes juives de la région parisienne avec le nom des descendants (qui peuvent eux-mêmes mettre à jour) afin qu’on puisse toujours les joindre et les tenir au courant des problèmes qui peuvent se poser. L’idée a été agréée, mais sa réalisation semble traîner…
Il faut savoir qu’aujourd’hui lorsqu’une personne est inhumée dans un terrain communal, elle risque un jour d’être exhumée. Si, de son vivant, elle n’a pas FAIT SAVOIR QU’ELLE S’OPPOSAIT A LA CREMATION DE SES RESTES, elle sera alors, que D’ nous en préserve, INCINEREE.
Mais, même si elle fait connaître son opposition à la crémation de ses restes, et si malheureusement – du fait de l’ignorance et de l’éloignement de ses descendants – le cimetière municipal procède à une exhumation administrative, IL NE SERA PAS POSSIBLE A LA FAMILLE DE RECUPERER SES OSSEMENTS POUR LES INHUMER SELON LA TRADITION JUIVE ! Dans ce cas, ses restes seront au mieux entreposés dans un ossuaire !
IL Y A URGENCE à faire connaître cette situation aux Juifs de France !
En attendant de pouvoir espérer un jour faire changer la loi, il faut tout faire pour décourager toute inhumation dans un cimetière municipal !
Pour ma part, en attendant que nos officiels se réveillent devant cette situation dramatique, je compte adresser un courrier à M. François Hollande, Président de la République, pour lui rappeler que dans un récent courrier qu’il a adressé à M. Joël Mergui, Président du CRIF, il était précisé que « la France continuera de défendre, au niveau européen, ses positions qui sont respectueuses des pratiques rituelles des croyants ».
J’indiquerai dans ce courrier que j’ai beaucoup de mal à comprendre comment la France, qui est avant tout un pays de liberté, peut au nom de la laïcité, interdire la création d’un cimetière confessionnel privé.
Sachant que les articles 433-21-1 et 433-22 du Code pénal prévoient des peines sévères en cas de violation des volontés du défunt, cela prouve que tout citoyen doit théoriquement pouvoir se faire inhumer selon sa propre tradition.
Faut-il en arriver à déposer plainte contre la France pour non-respect de l’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ?
Je cite : « Art. 9 : Liberté de pensée, de conscience et de religion
- Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
- La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
D’ailleurs à ce propos, je vous invite à lire attentivement la question 19 se trouvant en page 8 du courrier des Maires (voir sur http://www.courrierdesmaires.fr/wp-content/uploads/2013/02/50q-maire-laicite2008.pdf) :
L’interdiction des cimetières confessionnels est-elle conforme au droit international ?
Cette interdiction se heurte à l’article 9 de la CEDH qui consacre la liberté de religion.
L’orientation des tombes imposée par la religion musulmane ne semble pas pouvoir être écartée pour des raisons d’ordre public (contrairement aux prescriptions d’ordre sanitaire). Selon le rapport de la commission Stasi du 11 décembre 2003, il ne serait pas admissible que « la laïcité serve d’alibi aux autorités municipales pour refuser que des tombes soient orientées dans les cimetières ». La CEDH admet certaines restrictions à la liberté religieuse, dans la mesure où il est possible de créer, à titre privé, les moyens nécessaires au respect des prescriptions religieuses (CEDH, 7 déc. 1976, Kjeldsen c/ Danemark n° 5095/71RFDA 1995 p. 585). »
La commune détenant un monopole et la création de cimetières privés étant interdite, en cas de recours, la France pourrait donc être condamnée.
Un des responsables de la ‘Hévra qadicha orthodoxe
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