L’une des énigmes de cette période est ce que sont devenus les restes funéraires de ces Juifs qui ont vécu en bonne terre de France en ces siècles-là, entre le Xe et le XIIIe siècle (nous ne pensons pas un seul instant trouver des tombes plus anciennes…). Il est vrai que les Juifs ont été expulsés de la France, ou de ce qui était alors le territoire central de ce pays, sans toute sa partie orientale (de l’Alsace à la Provence), mais ce ne sont que les vivants qui ont subi ce sort, à notre connaissance…
Le fait est que les restes funéraires sont très rares.
Ramerupt
Voici quelques dizaines d’années, une enquête a été menée par nos soins dans cette petite commune de l’Aube : Ramerupt est connue pour avoir été la commune où rabbénou Tam vivait, et avait sa Yechiva, et toute une communauté. On y trouve jusqu’à ce jour une rue des Juifs, et il s’est avéré que l’on trouve un grand nombre d’ossements dans les terrains des fermes construites à ses abords… Du reste, alors, l’une d’entre elles a été rachetée par des membres de la Communauté juive de Pavée, à Paris, et a été transformée en Beth haMidrach souvenir des Ba’alé haTossafoth.
Il faut dire toutefois que cette identification n’est pas absolue : comme nous l’a fait remarquer le Professeur Gérard Nahon, le fait que l’on n’a pas trouvé la moindre pierre tombale juive à Ramerupt est très surprenant1.
Ennezat
Par exemple, Ennezat, cette commune du Puy du Dôme, annonce avoir un cimetière juif. La visite que nous avons effectuée en ces lieux, accompagné du rav David Schmidel, le grand spécialiste en la matière, sous la demande de la regrettée Mme Paulette Abrabanel, nous a amenés à constater qu’effectivement le champ des Juifs semblait bien contenir des tombes juives, mais, surtout, on trouvait un peu partout éparpillés dans la commune des restes de pierres tombales juives !
Ce cimetière, qui date sans doute du XIVe siècle, a été acquis en son temps par les Augustins de l’agglomération, qui le montraient encore au XVIIIe siècle2.
Paris
Des cimetières parisiens, il ne reste que des stèles !
L’un des deux cimetières connus de Paris de cette époque, celui de la rue Pierre-Sarrazin, a été retrouvé en effet à la suite de travaux d’urbanisme au XIXe siècle. En 1849, lors des travaux d’aménagement de la librairie Hachette, à l’angle de la rue Pierre-Sarrazin et de la rue de la Huchette, l’actuel boulevard Saint-Michel, furent mises au jour près de quatre-vingts stèles juives. Mais on n’allait évidemment pas changer de programme parce qu’on avait trouvé des restes funéraires : on s’est contenté de remettre ces stèles au musée de Cluny (d’autres stèles, situées à proximité du lieu de la future découverte et encore visibles au XVIIe siècle, furent transcrites par Étienne Baluze avant leur disparition). Elles sont aujourd’hui en grande partie déposées au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme.
L’une des stèles, presque entière, est celle de rabbi Chelomo ben Yehouda. Ce n’est pas une autorité connue, mais il semble avoir été important en son temps.
On y lit : « Yehouda qui s’en fut au jardin d’Eden le jour de Chabbath de la parachath Qora’h de l’an 5041 du comput, que sa mémoire [subsiste] pour la vie du monde futur ».
Ce cimetière juif de la rue Pierre-Sarrazin s’étendait sur une part non négligeable de la rive gauche, entre les rues Pierre-Sarrazin, Hautefeuille, de la Harpe et des Deux-Portes (le tracé de ces deux dernières rues correspondant à celui des actuels boulevards Saint-Michel et Saint-Germain). Quelques rares textes permettent d’en suivre l’histoire, notamment un document de 1283 faisant état d’un conflit avec le collège de Bayeux. Dès l’expulsion des juifs par Philippe le Bel en 1306, le cimetière est condamné à disparaître : le terrain est donné par le souverain aux dominicaines de la priorale Saint-Louis de Poissy. La parcelle revendue en 1321 au comte de Forez fut peu à peu lotie.
Il est difficile de savoir quand le cimetière commença à être utilisé, en raison du nombre de dalles fragmentaires et non datées. Tout juste peut-on noter que, mis à part une stèle dont la datation est contestée, la plus ancienne stèle datée conservée est celle d’un homme mort en 1235, ce qui semble indiquer que le cimetière n’a accueilli des tombes que pendant à peine plus de trois quarts de siècle.
Notre présent propos concerne l’existence de cimetières juifs reconnus et conservés, et non point des restes de pierres tombales ou de plaques de synagogues, domaine dans lequel le choix est plus vaste (cf. l’ouvrage de Pr Nahon cité en note 1), comme les stèles de Strasbourg, Dijon, Mâcon, etc..
Le désert que nous constatons dans ce domaine laisse entrevoir une conception assez surprenante dans le domaine de ce que l’on nomme de nos jours le respect de la mémoire en terre de France : il ne semble pas englober celui des restes funéraires.
Il est vrai qu’on ne peut guère attendre plus de la part d’une société qui n’a aucune amarre religieuse ; de plus, n’a-t-elle pas procédé en son temps à une expulsion totale du Peuple juif de son terroir ?
Mais souvent, et c’est le cas à Tours, les cimetières désaffectés servent de manière fort prosaïque de carrière : on y débitait des pierres qui servirent à remplir des fondations ou à monter des bâtisses, voire des églises comme cela fut le cas à Nancy. Dans de tels cas, la sauvegarde des tombes elles-mêmes n’est plus assurée. ■
1 Notons toutefois que l’historien Blumenkranz signale que dans certains cas, les autorités catholiques interdisaient aux Juifs de poser des pierres funéraires (préface à « Inscriptions hébraïques et juifs de France médiévale », de Gérard Nahon, 1986). Peut-être était-ce le cas à Ramrupt ?
2 Op. citژ p. 19.
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