Giacomo Tedesco, une personnalité parisienne oubliée !
Giacomo Ya’aqov Tedesco est né à Venise en 1799. Il s’est marié à Paris en 1833, où il vivait déjà, vraisemblablement.
Il suffit de voir avec qui ses onze enfants se sont mariés pour se rendre compte du prestige dont jouissait cette personne : Adelaïde (Breinele) s’est mariée avec le fils du rav Bamberger, le célèbre Wurzburger rouv, qui deviendra rav à Aschaffenburg (c’est l’ancêtre du rav Neuwirth et d’un très grand nombre de familles vivant de nos jours en Erets Israël en particulier, ainsi que du rav Moché Arié Bamberger de Metz) ; Anna (Miriam) était mariée avec un proche de l’une des importantes personnalités rabbiniques allemandes d’alors, le rav Avraham Bing ; Julie (Yitle) était mariée avec un neveu du rav Wechsler (cité dans notre précédent numéro, et considéré comme l’un des « Qabbalistes » allemands de l’époque) ; Clémentine s’est mariée avec un fils du célèbre rav Hirsch.
Giacomo Tedesco a ouvert la première boucherie cachère à Paris pour que l’on ne mêle plus la viande non cacher avec la viande cacher – ce qui arrivait fréquemment auparavant. Il était lui même était marchand d’art.
Giacomo Tedesco était également mohel et a lutté contre les réformes qu’on voulait introduire (suppression de la metsitsa, entre autre). Il était souvent sandaq et apparaît couramment dans un mohelbuch local de l’époque.
Il était l’un des premiers membres de l’association Terre Promise dont nous parlons ici, avec le Grand rabbin de France, le Grand rabbin de Paris, le Baron de Rothschild, le rav Weisskopf et bien d’autres notables.
Il était également l’un des fondateurs de la ‘Hévrath Chass, Ohel Abraham, et du Talmud Tora (le rav Weisskopf faisait passer un examen aux garçons en fin d’année).
Il mourut pendant le siège de Paris – par manque de nourriture cachère – en décembre 1870.
« Accordez-moi une sépulture… »
Par le rav Aharon Tswi Goldschmidt, descendant du rav Ya’aqov Tédesco
Voici 150 ans est décédé à Paris le rav Ya’aqov Tédesco, l’un des fondateurs et des piliers de la
communauté juive orthodoxe qui était alors en formation, en particulier avec la création de la synagogue et de la communauté « ‘Adath Yeréïm » (Communauté de Stricte Observance). L’influence de cette communauté se fait sentir jusqu’à ce jour. Rav Israël Salanter zatsal a prié dans ce lieu.
Rav Tédesco a fait venir à Paris le rav Moché Weiskopf pour enseigner aux enfants ; ce rav devint par la suite le responsable spirituel de cette communauté locale, actif dans l’association « ‘Hévrath haSchass ». Le rav Chelomo Zeèv Klein, rav de Colmar, écrit qu’il était le « fils de ce tsadiq qu’était le rav de Wallerstein » – l’Eternel lui a accordé cent années de vie.
Le ‘haver rav Ya’aqov Tédesco zal – ou « Achkenazi » comme dit dans sa Ketouva – était un Juif italien descendant d’une famille achkenaze d’ancienne filiation de Venise, « descendant de gens droits et honnêtes » (cf. Peqoudath ha Leviim, Mayence 5634/1874). Après divers soucis, il est arrivé à Paris, où il fonda son foyer avec son épouse, issue d’une famille alsacienne ancienne, la famille Cerf de Sarrelouis.
Il trouva sa subsistance dans la vente d’objets d’art, en particulier de tableaux d’artistes connus. L’Eternel était avec lui, et il devint avec le temps une personne fort aisée.
Mais d’autres détails sont à ajouter à sa biographie, à en croire les journaux de l’époque.
Dans un article en son honneur (Halevanon 1867, p. 170171), le rav Moché Weiskopf cité plus haut écrit :
« …Nous nous sommes réjouis ici aussi en l’honneur de Sim’hath Tora en la demeure du notable dont la générosité est connue et les actes renommés, le ‘haver rav Ya’aqov Tédesco. Car, en ce jour, ce notable a eu le mérite de terminer l’étude de l’ensemble du Schass, qu’il étudiait au quotidien, dans le cadre d’un cours fixe… Si cela vous étonne, il vous sera encore plus surprenant d’entendre encore d’autres éléments de louange à l’égard de cette personnalité. Il a été fortement frappé par la Main de D’ dans sa jeunesse, mais depuis lors et jusqu’à ce jour, il n’a de cesse de distribuer de l’argent à nos pauvres, et en particulier à ceux qui étudient la Tora et se renforcent dans la crainte du Seigneur. Il a organisé une boucherie chez nous dans laquelle on ne vend que de la viande cachère, et où l’on ne trouvera en aucune manière une autre marchandise, projet pour lequel il a dépensé beaucoup d’argent. Il était l’un des piliers les plus importants de la compagnie d’étude du Schass d’ici, sous l’égide de laquelle les gens étudient matin et soir ensemble des cours de Tora, et chaque jour des jeunes garçons y reçoivent des cours de ‘Houmach, de Michna et de Guemara… Ce Tédesco tient à ce que toute personne qui l’honore en lui donnant à tenir un bébé sur ses genoux pour la mila, s’il est pauvre, se voit accorder par lui la somme de 20 francs, et sera organisé un repas de Brith à son domicile, et ce, même si on lui apporte cent enfants à circoncire par jour ! Ce n’est pas un acte vain, ce qu’il fait là, car sans cela, tous ces enfants nés dans l’interdit n’auraient été circoncis, pas même un sur mille; grâce à lui, puisque les gens savent que le notable Tédesco donne 10 francs pour être sandaq [Id. : Auparavant, l’auteur parlait de 20 francs…], de sorte que pratiquement tous ces enfants sont amenés chez lui sont circoncis et reçoivent un nom juif, et on les inscrit dans le livre [Id. : des circoncisions] qu’ils sont de père inconnu…
« Ceci n’est qu’une partie de ses bonnes voies… outre sa grande précaution face aux interdits de la Tora, auxquels il fait attention chez lui, et sa conduite remarquable avec ses garçons et ses filles… »
Dans l’annonce transmise au journal Halevavon par l’auteur du Diqdouqé Sofrim, le rav Refaël Nota Rabinovitch (9 juin 1870) dit : « J’ai trouvé cette ville fantastique… Et je dois lever mes paumes vers le Ciel et bénir de tout mon cœur tous ceux qui m’ont apporté leur aide… La majorité de mes bénédictions concerne le tsadiq, le ‘haver, craignant D’ et homme riche, rav Ya’aqov Tédesco, qui, tant que j’étais ici, n’a eu cesse de répondre à toutes mes demandes, et m’a même aidé quand je ne le lui demandais pas… »
Le rav Tédesco était alors veuf de puis trois ans – il mourut quelques temps plus tard.
Dans une notice nécrologique publiée de façon anonyme dans le Israelit en date du 5 avril 1871, certainement par une personne vivant en dehors de Paris et disant faire partie des proches connaissances, complète le tableau :
« Le pauvre et l’indigent étaient accueillis à sa table le Chabbath et les jours de fête. Le défunt soutenait massivement veuves et orphelins, et il servait de refuge pour le pauvre. Il tendait la main aux chefs de famille qui se gênaient de demander de l’aide, prêtant de l’argent et annulant immédiate ment la reconnaissance de dette. Personne n’a pu arriver à Paris pour y trouver de l’aide sans avoir entendu parler de la famille Tédesco… Il n’est pas possible de décrire la conscience et le sérieux avec lesquels Tédesco s’est efforcé d’accomplir les lois du Choul’han ‘Aroukh, mais ce qui pour lui était l’essentiel était l’étude de la Tora. Il s’y adonnait au quotidien, et il est superflu de préciser qu’il en était de même pour ses enfants.
« L’aspect « service divin » était également important dans sa vie, et il n’a jamais négligé de prier en minyan, pas même une fois.
« …Sa droiture mérite qu’on s’y attarde, du fait de sa loyauté et de sa simplicité, tout en sachant res ter sur ses principes, sans la moindre concession quand il le fallait. Même s’il n’était pas toujours accueilli avec sympathie, il était toutefois respecté même par ceux qui ne pensaient pas comme lui.
« Il a disparu en disant « Chema’ Israël« , rentrant ainsi dans la pureté éternelle pour recevoir le grand salaire auquel il a eu droit ».
Son épouse également, Mme Yirat, dont de nombreux descendants portent le nom de nos jours encore, était appréciée par son entourage. A la différence de toutes les femmes juives de la ville, elle couvrit sa tête avec un foulard toute sa vie (Julia Tedesco Travis, An orthodox Jewess reminisces, p. 7) et a eu droit à onze enfants (cf. Yoma 57a, et Rachi ad loc au nom du Talmud de Jérusalem).
Dans ce qui a été écrit à son égard dans le journal Halevanon (13 sept. 1867), on peut lire : « Demandez dans la grande ville de Paris à tout riche, ou à tout pauvre, s’il n’a pas entendu parler de la réputation de cette femme… Car sa fierté, et celle de son foyer, était d’offrir l’hospitalité à tout pauvre, à toute personne plongée dans la douleur. Questionnez les indigents, les veuves et les orphelins, les malades abandonnés, s’ils n’ont pas trouvé auprès de cette dame toute l’aide dont ils avaient besoin, quand ils ont versé devant elle les douleurs de leur cœur, et qu’elle savait qu’ils faisaient partie des Juifs respectant la Halakha. Cette femme remarquable, bien qu’elle puisse vivre dans le luxe, n’abandonnait pas la cuisine et tenait à vérifier elle-même que tout était fait selon la Halakha. Elle faisait aussi attention à ce que tout se passe selon la volonté de son mari, en particulier quand des grands du peuple juif venaient résider chez eux, ce qui arriva souvent. Dans ce cas, elle ne laissait personne effectuer le service, et le faisait elle-même… »
La remise en terre des restes funéraires
Le lendemain du Chabbath ‘Hayé Sara, où il est question de la mise en terre de Sara iménou, les restes funéraires du couple Ya’aqov et Yirath Tédesco ont été enterrés après sept années d’efforts de la part de leur famille ! Ils reposent dorénavant en paix dans le cimetière Erets ha’Hayim à côté de Beth Chémech.
Deux Juifs sur… les centaines détenus dans l’ossuaire du Père Lachaise ? Peut-être même plus si l’on tient compte du fait que la municipalité de Paris vide des tombes depuis 50 ans, à raison de 1 000 corps par an (chiffres datant de 2008). La municipalité de Paris garde ces détails – autant le nombre que le nom des défunts – dans le plus grand secret.
Pour les Tédesco, leur triste histoire a touché à sa fin : ils reposent enfin en terre. L’enterrement s’est passé dans la discrétion, en présence de 300 personnes. L’AFP, et d’autres media, s’en sont fait l’écho (l’AFP, sous le titre « Un philanthrope juif français, mort en 1870, inhumé en Israël »).
On peut se demander pourquoi la famille a tant attendu pour s’occuper de la tombe de ses ancêtres. Mais il faut dire que nul n’était informé de ce qui se pas sait dans les cimetières, avant que nous fassions paraître un certain nombre d’articles dans nos colonnes. Du reste, un récent ouvrage d’accompagnement des endeuillés, publié par la ‘Hévra qadicha du Consistoire, n’aborde absolument pas ce sujet…
Qui pouvait penser que les responsables de la communauté juive en France, eux qui parlent haut et fort du respect de la mémoire de nos anciens, abandonneraient ainsi nos ancêtres à un si triste sort ? Et qui pouvait songer un instant que la France, dépositaire de la dignité humaine, foule du pied d’une telle manière leur honneur et leur personne ? Le Grand-rabbin Jacky Dreyfuss, ancien Grand-rabbin du Haut-Rhin, a pris la parole lors de l’enterrement et a mis l’accent sur le fait que ce couple de notables parisien a été déterré et déposé dans un ossuaire. Il a formulé le souhait que la situation change, à la suite de cette inhumation.
Un descendant des Tedesco, le rav Yom Tov Saenger, posseq à Bené Braq, a abordé la question sur le plan de la Halakha.
Il a insisté sur l’importance de l’action qui arrivait là à un heureux dénouement : l’accomplissement de la mitswa de la Tora de ramener les restes funéraires de défunts en terre (« liqout ‘atsamoth »), ainsi que le fixe le ‘Hatham Sofer, com me s’inscrivant dans la mitswa de « Qavor tiqverénou » (Devarim/Devarim 21,23) – « Tu auras soin de l’enterrer le jour-même ». Le Choul’han ‘Aroukh (Y. D. 403) indique que le jour où une personne enterre des ossements de proches, elle est dispensée du Kiriath Chema’, des tefilinnes et de toutes les mitswoth de la Tora – tant qu’elle n’a pas terminé cet acte. Ceci est valable également quand on remet en terre des ossements d’autres Juifs. Il s’agit de « meth mitswa ». Il est vrai qu’il y a des différences entre un enterrement et une réinhumation, mais quand les restes funéraires ne sont pas portés en terre, mais déposés dans un hangar, à Paris, il ne fait aucun doute qu’on a l’obligation absolue de faire enterrer ces restes. Dans le cas présent, la mitswa est encore plus grande puisque les restes du couple Tedesco ont été amenés en Erets Israël.
Or voici peu qu’a été décidé de permettre d’incinérer les restes funéraires de tous ces Juifs détenus dans l’ossuaire ! Le rav Saenger a rappelé que le fait de laisser le corps entier s’inscrit dans les fondements de notre tradition ! Nos Sages ont dit (Ketouvoth 111b) que les Justes se lèveront dans leurs « habits » lors de la résurrection des morts, à savoir, dans la même enveloppe corporelle que de leur vivant. Le fait de montrer du respect en vers des restes funéraires prouve notre croyance en la venue du Machia’h et en la résurrection des morts.
Dans un cas où il était question de construire une muraille autour d’un cimetière, les rabbanim ont déjà indiqué que si l’argent venait à manquer, il fallait vendre le Séfer Tora pour financer une telle œuvre, a précisé le rav Saenger ! Ceci prouve à quel point le respect des morts est important aux yeux de la Ha lakha, car il concerne le respect des éléments les plus fondamentaux de la Tora, en particulier la croyance en la résurrection des morts.
Tous les moyens devraient donc être mis en route pour résoudre ce problème, quitte à vendre des biens de la communauté pour ce faire !
Une toute autre conception des priorités communautaires !
Plusieurs membres de la famille, dont le fils de Mme Debbie Lifschitz qui s’est tant investie dans cette action, ne comptant ni son temps ni son argent pour arriver à ce résultat (il y avait une difficulté supplémentaire du fait de la présence d’ossements inconnus dans le reliquaire où reposait rav Ya’aqov), ont loué ces respectables ancêtres pour leur bienfaisance, les efforts qu’ils ont fournis en faveur du Judaïsme, aidant pauvres et indigents, fondant une ‘Hévrath haShass, une communauté et un miqwé, formant des caveaux pour permettre d’y enterrer les pauvres… (voir article cidessous, basé sur des extraits d’articles de presse de l’époque).
« Peut-on savoir comment serait le judaïsme de France sans cette incroyable conduite du couple Tedesco en leur temps », a conclut le rav Yom Tov Sanger, non sans insister sur la grande bénédiction que ces gens font reposer sur leur descendance, si impressionnante et si nombreuse de nos jours.
S’y découvre en effet une famille de notables d’un niveau de ‘hessed inouï – et ce n’est peut-être pas par hasard que les Tedesco ont été enterrés en Erets Israël pratiquement le même jour que cet autre grand bienfaiteur de notre peuple qu’était le rav Moché Reichmann zal de Toronto !
Espérons que le vœu exprimé par plusieurs intervenants à cette occasion, que le présent ensevelissement renouvelé du couple Tedesco serve de précédent et marque la libération de tous les autres corps repris de leurs tombes contre leur gré et conservés de manière scandaleuse dans des hangars municipaux, contre la loi juive et contre le respect le plus élémentaire de la dignité de la personne humaine même après sa mort.
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